Extraits de propos libres tenus par KASE Taiji Sensei 加瀬 泰治 sur l’enseignement du karate-dō. Cours pour instructeurs du stage de Gand, 1983.
Chacun peut avoir son opinion et y trouver ce qu’il cherche mais si on laisse aller les choses, il va se produire une transformation irrévocable et l’esprit du karate-dō sera perdu. Ainsi en est-il du judo, qui n’est plus qu’un sport codifié, réglementé, avec des catégories de poids… l’esprit du budō est perdu ! Il faut être d’autant plus prudent que le karaté sera bientôt reconnu comme sport olympique, ce qui risque de ne laisser subsister qu’une caricature de l’art martial originel, qui deviendra un sport, classé dans la catégorie « boxe ». […] L’aspect sportif, le shiai, ne date que d’une vingtaine d’années ; avant, on ne pratiquait que le jiyu ippon kumite, mais dans un climat de telle concentration qu’on retrouvait la sensation de mettre sa vie en jeu sur une seule attaque, alors qu’aujourd’hui, dans une compétition où l’on compte les points, chacun se lance fougueusement, sachant qu’il ne risque rien. Cela n’est pas l’esprit du budō ! Il faut travailler constamment à déployer le maximum de puissance et d’efficacité ; c’est pour cela qu’il est nécessaire de contrôler les coups sinon, sans puissance, le contrôle n’est pas nécessaire.
[…] Il faut réserver la pratique des atemi aux classes avancées, à ceux qui prospectent sincèrement le karate-dō. Dans le budō, on ne peut pas se permettre d’erreur. Pour leur étude, après avoir soigné la technique, localisé le point d’atemi, on s’entraide lentement en aiuchi. Puis on étudie l’usage de ces mêmes techniques en défense et enfin, on prospecte la vitesse en soignant les déplacements. On peut s’inspirer des kata car ils donnent l’idée de base dans l’utilisation du mouvement et dans les déplacements. Il ne faut pas s’en tenir à une codification stérile, mais au contraire, exploiter au maximum le kata, le disséquer, l’exécuter à l’endroit, à l’envers, en avançant, en reculant, vite et lentement. Les kata sont l’exemple, le vocabulaire de base, la trame qui supporte la transmission, l’enseignement du karaté. Plus on progresse, plus le karaté est vaste.
[…] Plus tard, après le 1er dan, on doit chercher à toujours augmenter la vitesse, et cela n’est possible que par la détente… A partir du 2ème ou 3ème dan, il faut soigner la décontraction, la vitesse de l’attaque, le kime dans une attaque éclair et le retour immédiat à la détente pour combiner plusieurs attaques. Plus tard encore, on améliore la concentration et la capacité à apprécier la situation, « sentir » le climat, l’ambiance, l’intention de l’adversaire. Dans un esprit toujours défensif, on peut alors comprendre « aiuchi » (l’adversaire touche ma chair quand moi je touche ses os), d’où la nécessité de connaître les points vitaux (Kyusho) et les techniques d’atemi spécifiques au karaté.
[…] Le style shōtōkan s’attache à maintenir la tradition et la démarche pédagogique vise d’abord à asseoir les positions, mettant l’accent sur la rectitude du dos. Cela est très important car si les bases ne sont pas affermies et si le corps est mal placé, il sera non seulement difficile de trouver la puissance mais on risque de se blesser. En effet, si le geste correct va dans le sens de la bonne santé, un mouvement incorrect (mal contrôlé, trop crispé, mal respiré ou sans intention précise) est dangereux, et l’entraînement devient un vrai suicide. Au Japon, on appelle ça se faire « hara kiri ».
[…] Au début donc, et jusqu’aux premiers niveaux de la ceinture noire, il faut constamment s’entraîner, consacrer le plus de temps possible à la pratique, en cherchant toujours à comprendre, à « bien sentir », à trouver la forme la plus épanouie pour amener le corps à son fonctionnement optimal. Seul un corps parfaitement disponible peut suivre la pensée sans délai. […] La recherche en karaté passe par la pratique, mais la pratique dans la concentration, la sincérité de l’étude et de l’engagement personnel. Il faut se mobiliser totalement sinon ce n’est pas la peine. C’est une question de qualité et non de quantité ; travailler le corps sans solliciter l’esprit ne sert à rien !
Il faut constamment rechercher à accroître la vitesse. Pour cela, on cherche la position optimale, celle qui autorise le meilleur rendement musculaire et articulaire, la meilleure concentration par la respiration la plus juste. Ainsi, on progresse régulièrement et l’on expérimente le karaté par étapes, à travers des complets retournements de soi-même.
Yoshitaka disait qu’il employait son corps comme un pinceau pour réaliser son œuvre, son tableau.
Il faut cultiver la force douce, le force pénétrante. On peut la chercher au makiwara où l’on sent bien la différence entre le coup qui « passe » et celui qui ne « passe pas ». On comprend alors ce qu’est la vraie puissance et pourquoi il est nécessaire de la contrôler. Si l’on ne parvient pas à cette force pénétrante, il n’est pas nécessaire de contrôler car les coups ne sont pas dangereux. C’est parce que le karaté est très puissant qu’il faut absolument soigner le contrôle. Quand on comprend cette puissance retenue, on peut travailler avec n’importe qui et comme il le désire, avec ou sans contrôle !
© J. L. Perot